La règle de Lipkin

Après l’inven­tion de la machine à vapeur par James Watt on chercha de résoudre le problème de la construc­tion d’un méca­nisme à char­nières, qui allait trans­former le mouve­ment circu­laire d’une char­nière dans le dépla­ce­ment d’une autre char­nière en ligne droite.

Pendant long­temps, les scien­ti­fiques et les ingé­nieurs ne pouvaient pas trouver la solu­tion à ce problème. Ils réus­sirent à construire seule­ment des méca­nismes capables de déplacer une char­nière dans une ligne presque droite, mais pas parfai­te­ment recti­ligne. Ils ont été aidés, enfin, par une belle théorie mathé­ma­tique.

Rappe­lons que l’inver­sion dans le plan par rapport à un cercle est une appli­ca­tion biuni­voque de l’inté­rieur du cercle (à l’excep­tion d’un point, le centre) dans le reste du plan en dehors du cercle. L’image du point $A$ est le point $A’$, qui se trouve sur le rayon du cercle passant par le point $A$. Sa posi­tion sur le rayon est définie par l’égalité $OA \cdot OA'=R^2$, où $O$ est le centre du cercle, et $R$ est la longueur de son rayon. Par l’aide de l’inver­sion on résout de nombreux problèmes de géomé­trie. Comme nous le verrons, cette appli­ca­tion nous permet de résoudre non seule­ment des problèmes théo­riques.

Consi­dé­rons un méca­nisme avec une char­nière appliquée à un point fixe (marqué en rouge). Deux barres de la même longueur sont alla­chées par une extré­mité à cette char­nière, tandis que les autres extré­mités sont atta­chées aux deux char­nières oppo­sées d’un losange composé de quatre barres reliées par quatre char­nières.

Ce méca­nisme réalise l’inver­sion par rapport au cercle centré au point fixe et avec rayon qui dépend de la longueur des éléments du méca­nisme. La courbe tracée par l’une de deux char­nières libres du losange est l’image, par inver­sion, de la courbe tracée par l’autre.

Par l’aide de notre méca­nisme nous obser­vons main­te­nant quelles propriétés l’appli­ca­tion de l’inver­sion possède.

De la défi­ni­tion même de l’inver­sion il est évident que l’image d’un segment, qui est sur une ligne droite passant par le centre du cercle est un segment qui se trouve encore sur la même ligne.

L’image d’un segment, qui est sur une ligne droite qui ne passe pas par le centre d e l’inver­sion, est un arc de cercle, passant par le centre de l’inver­sion.

Un cercle qui ne passe par le centre et qui ne coupe pas le cercle de l’inver­sion, est trans­formé par l’inver­sion dans un autre cercle.

L’inver­sion conserve les angles entre deux courbes, cepen­dant, renverse les orien­ta­tions. Telles appli­ca­tions en mathé­ma­tiques sont appe­lées «anti–conformes» (conformes sont celles qui conservent soit les angles soit les orien­ta­tions).

Un arc de cercle, passant par le centre de l’inver­sion est trans­formé... exac­te­ment dans un segment de ligne droite!

C’est préci­sé­ment cette propriété qui a été utilisé dans la construc­tion du premier méca­nisme capable de tracer segments de lignes droites. Pour qu’une char­nière du losange dessine un cercle passant exac­te­ment par le centre du cercle de l’inver­sion, nous ajou­tons une char­nière fixée au centre du cercle passant par le centre de l’inver­sion, et une barre aussi longue que son rayon, fixée aux extré­mités à cette char­nière et à une char­nière du losange. La trace de l’autre char­nière sera toujours un segment de droite. En raison du fait qu’on utilise la propriété d’inver­sion, ces méca­nismes sont souvent appelés inver­seurs.

Peau­cel­lier (Peau­cel­lier Charles Nicolas, 1823—1913) informa les offi­ciers du Corps d’Armée des ingé­nieurs de la construc­tion d’un inver­seur en 1864 dans une lettre privée. Toute­fois il ne fut pas capable de fournir de détails sur la construc­tion du méca­nisme. En 1868, Lipman Lipkin (1846—1876), élève de Thche­by­shev, inventa l’inver­seur. Son article détaillé a été publié en 1870, et l’article de Peau­cel­lier n’apparu qu’en 1873, avec la descrip­tion de ce méca­nisme, faisant réfé­rence au travail de Lipkin.

Ensuite d’autres méca­nismes ont été inventés pour dessiner des lignes droites, basées sur d’autres idées mathé­ma­tiques. Mais l’inver­sion se distingue par sa beauté, ses bonnes propriétés méca­niques et a trouvé de nombreuses appli­ca­tions en ingé­nierie.